Depuis des millénaires, l’Egypte est un don du Nil. L’Égypte a effectivement eu la chance pendant plusieurs millénaires, que ses voisins du Sud où le Nil prend ses sources étaient peu peuplés, divisés et peu organisés. Elle a pu tranquillement irriguer les rivages du fleuve, et réaliser un grenier merveilleux pour alimenter les Egyptiens. Le summum a été la construction du barrage d’Assouan, largement financé par l’aide internationale, qui a sécurisé l’approvisionnement en eau du pays.
Aujourd’hui la situation a dramatiquement évolué : l’Ethiopie a réussi de formidables progrès économiques et sanitaires, sa population atteint maintenant les 100 millions d’habitants, soit autant que l’Egypte. L’Ethiopie a ainsi pris un poids important dans la région et a fortement influencé la signature d’un accord-cadre en mai 2011 sur la partage des eaux du Nil entre elle-même, le Rwanda, la Tanzanie, le Kenya, le Burundi et en aval : le Soudan et l’Egypte. L’exploitation du potentiel hydraulique – irrigation et électricité, par les pays de l’amont, pourrait désormais être poursuivie sans que l’Egypte puisse la bloquer. Sauf que le Soudan et l’Egypte ont boycotté cet accord.
Aussitôt après cette signature, l'Ethiopie a entrepris la construction sur le Nil Bleu (*) d’un barrage géant, le Grand Barrage de la Renaissance Ethiopienne (GERD) situé au nord, à 40km de la frontière soudanaise. Il est prévu que l’Ethiopie autofinance entièrement ce projet à hauteur de $ 4,8 milliards, complété par une aide de la Chine qui financera les turbines et les systèmes électriques pour $ 1,8 milliards. La puissance électrique installée sera de 6 450 Megawatts. Les objectifs principaux sont de développer l’agriculture irriguée, limiter les inondations et satisfaire les besoins en électricité en forte croissance de l'Ethiopie.
Et depuis le début de la construction, des négociations se sont poursuivies entre les 3 pays : Egypte, Soudan et Ethiopie, avec l’intermédiation de la Russie sans réel succès. L’Egypte surtout craint que le remplissage du barrage qui doit durer plusieurs années, assèche les eaux du Nil et provoque une catastrophe agricole et une pénurie majeure en eau.
Depuis une dizaine de jours une partie du remplissage du barrage a été effectuée et la situation est devenue très tendue entre l'Ethiopie et l'Egypte. Un tweet du ministre éthiopien des affaires étrangères, Gedu Andargachew, proclamant : « Félicitations ! C’était le Nil et le fleuve est devenu un lac. Il ne se déversera plus dans le fleuve. L’Éthiopie en tirera tout le développement qu’elle souhaite. En fait, le Nil est à nous ! » ne va pas arranger les relations entre les deux pays.
Un élément clef du litige est le temps que mettra le barrage à remplir son réservoir qui contiendra l’équivalent d’une année d’eau du Nil Bleu : 3, 5, 10 ans. Plus le remplissage sera rapide, plus tôt l’Ethiopie pourra bénéficier de l’irrigation et de l’électricité produite ; et plus l’Egypte verra son approvisionnement en eau réduit. Selon une étude de l’International Crisis Group, un consensus aurait émergé sur une durée de 5 ans. Mais il n’y aurait aucun accord sur la résolution des cas de sécheresse et autres conflits.
On notera au passage le mutisme des puissances dites « grandes » sur ce qui se passe dans cette région. Les Etats-Unis sont totalement absents ; l’Europe également, la France notamment ne se préoccupe que de son domaine favori : l’Afrique francophone ; la Chine comme la Russie poussent leurs pions en silence et toute tranquillité. Et l’ONU me demandera t’on ? Elle est sans doute hors jeu, car le conflit intéresse peu. L’affaire a été portée par l’Egypte devant le Conseil de Sécurité, sans résultat
L’Afrique est un continent hyper important au XXIè siècle et la question de l’eau va devenir de plus en plus critique dans les pays africains dont l’économie et la démographie se développe rapidement. Les besoins en eau vont naturellement devenir de plus en plus pressants et ceux qui détiennent les sources auront toujours plus d'ascendant sur les autres. Les Chinois le savent parfaitement car dans leur pays, depuis plus de 5 000 ans ceux qui tiennent l’eau tiennent le pouvoir. Cela m'amène à mentionner le projet chinois « pharaonique » de déviation du Yang Tse (le Fleuve Bleu) vers le Houang Ho (le Fleuve Jaune) qui coule non loin de Pékin et est sec une partie de l’année. L'assèchement du Houang Ho est causé essentiellement par les prélèvements de l'irrigation et des besoins en eau de l'industrie et des populations le long du fleuve. Mais en Chine, la situation est bien différente : un seul pays, une seule autorité qui peut imposer des transferts d’eau gargantuesques de part et d'autre du pays, même si cela cause un impact écologique et économique gigantesque !
(*) Le Nil est formé de deux bras : le Nil Bleu dont les sources sont en Ethiopie et le Nil Blanc dont les sources sont en Tanzanie ; ces deux bras se rejoignent à Karthoum, capitale du Soudan.