Le 2 mars 2011, la Banque Centrale du Bangladesh a révoqué Muhammad Yunus, prix Nobel de la Paix 2006, de sa fonction de directeur de la Grameen Bank qu'il a fondée en octobre 1983. Le motif invoqué pour son éviction est qu'ayant aujourd'hui 70 ans, il a dépassé l'age de la retraite fixé à 60 ans. Cette décision a été confirmée par la Cour suprême du Bangladesh le 8 mars 2011. Auparavant, Muhammad Yunus a comparu en janvier pour une affaire de diffamation en sommeil depuis 2007, suite à une déclaration à un journaliste selon laquelle la politique au Bangladesh était simplement une affaire de «pouvoir pour faire de l'argent». Et un documentaire danois « Caught in Micro debt » présenté par la télévision norvégienne a rapporté en décembre 2010 que des aides accordées à la banque auraient été détournées ; après enquête, le comité Nobel norvégien a démenti ces allégations et a réitéré son soutien à Muhammad Yunus et à la Grameen Bank, mais le dommage était fait.
Suite à des suicides de paysans pauvres endettés dans la région indienne d'Andhra Padresh, les politiciens et les médias ont attaqué le micro crédit dans son ensemble. Le premier ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina a accusé les institutions de micro finance de « sucking the blood from the poor in the name of poverty alleviation », de sucer le sang des pauvres au nom du combat contre la pauvreté.
De là à penser qu'un complot s'organise pour disqualifier Muhammad Yunus, la Grameen Bank, et la micro finance en général, c'est un pas que ses nombreux amis et supporters dans le monde entier sont prêts à franchir.
La réputation de Muhammad Yunus est devenue mondiale en 2006 lorsqu'il a reçu le prix Nobel de la Paix, conjointement avec la Grameen Bank. C'est en 1976, alors qu'il dirigeait le département d'économie rurale de l'Université de Chittagong, que Muhammad Yunus a initié son idée d'un établissement de crédit pour les plus pauvres habitant la campagne autour de l'Université. Cette idée s'est transformée en la création en 1983 de la Grameen Bank, littéralement la « Banque des Villages ». La Grameen Bank a maintenant plus de 8 millions de clients à qui elle a accordé des micro crédits d'un montant moyen de 160 € sans condition de caution ou de nantissement, avec un taux de défaut des remboursements proche de 0%. Chaque emprunteur doit faire partie d’un groupe de cinq personnes, qui est là pour suppléer au défaut éventuel de l’emprunteur.
L'objectif de la Grameen Bank est de rendre accessible aux plus pauvres et tout particulièrement aux femmes (97% des clients de la banque) des possibilités de financements qui les aident à sortir de la misère et plus généralement de restaurer la dignité des plus pauvres. C'est un projet social réalisé avec l'aide d'outils capitalistiques. La banque finance aujourd'hui 100% de ses prêts par les dépôts qu'elle reçoit, provenant en grande majorité des emprunteurs eux-mêmes. Elle est détenue par ses clients, les emprunteurs, et par l'état du Bangladesh (à hauteur de 25%) qui reçoivent chaque année ses bénéfices distribués sous la forme de dividendes.
Convaincu que le concept d'entreprise sociale est le moyen de transformer la société de son pays, à partir du début des années 90, Muhammad Yunus fonda plus de 30 entreprises et fondations : pêcheries, opérateur téléphonique, atelier de tissage, service Internet, énergies renouvelables, centres de soins, … Avec des groupes internationaux apportant leur savoir-faire et leur technologie, la Grameen Bank finance des entreprises sociales dans la fabrication locale de yaourts (avec Danone), de moustiquaires (avec BASF) ou la construction de petites installations de production d'eau potable (avec Veolia).
La Grameen Bank a servi de modèle à la création d'institutions de micro crédit bien au-delà des frontières du Bangladesh, en Chine, au Zimbabwe, à New York, à Glasgow, à Sydney, à Bombay, ...
Plusieurs Fondations Grameen ont été formées pour aider au financement d'institutions de micro finance qui à leur tour aident des petites entreprises à se développer dans les régions les plus pauvres.
Le succès de la Grameen Bank et de ses émules démontre l'efficacité des entreprises sociales à travers le monde pour s'attaquer à la misère et aux problèmes sociaux d'une manière durable. Comme le déclare Muhammad Yunus, "Your money will be recycled again and again. Much greater impact can be derived from it than from charity. The charity dollar has only one life; you give and it never comes back.", Votre argent sera recyclée de nombreuses fois. Il en découle un impact bien plus important que des dons. L'argent des dons n'a qu'une seule vie : vous le donnez et il ne revient jamais.
Quand on regarde le chemin parcouru, les nombreuses initiatives au Bangladesh et dans le monde, les projets en cours, les milliers d'entreprises sociales qui s'inspirent de la philosophie de Muhammad Yunus, on peut raisonnablement penser que la Grameen Bank n'est pas menacée par la querelle actuelle, que son héritage sera bien transmis et continuera de grandir.
Le micro crédit est simplement en pleine crise de croissance.
Selon Muhammad Yunus dans un article du New York Times du 14 janvier 2011, depuis 2005, de nombreux organismes de crédit ont fait évoluer leurs pratiques de micro crédit pour augmenter leur rentabilité. En 2007, une banque mexicaine de micro credit, Compartamos, a pour la première fois en Amérique latine fait appel au marché boursier. Et en août 2010, SKS Microfinance, la plus grande banque de micro crédit en Inde, a été introduite en bourse en levant 358 million $. Pour garantir la rentabilité des micro prêts, ces banques sont conduites à augmenter les taux de manière abusive et à poursuivre des politiques commerciales agressives. Comme le recommande Muhammad Yunus, dans tous les pays où le micro crédit s'est largement développé, il est temps de mettre en place un organe de régulation qui contrôlera notamment les taux d'intérêt et les pratiques commerciales. Bangladesh possède déjà un tel organe de régulation. Et l'Inde doit certainement faire de même rapidement.