En janvier 2011, l'Assemblée Nationale a créé une « Mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et
le financement de la protection sociale », dotée de 32 membres et de deux corapporteurs en la personne de
Pierre Méhaignerie (UMP) et de Jérôme Cahuzac (PS). Le Président Bernard Accoyer a clos les travaux le 9 novembre 2011 en annonçant que les corapporteurs n'avaient pu parvenir à un rapport
commun.
Donc aucun rapport ne va sortir sur un sujet pourtant ô combien important : la compétitivité de notre pays. Mes lecteurs conviendront que ceci n'est pas à l'honneur de nos députés et
qu'en tant qu'électeurs, nous pourrions espérer plus.
70 personnes ont été entendues dont des professeurs d'économie, des penseurs, des responsables d'organismes
administratifs prestigieux, des syndicalistes et heureusement … huit chefs d'entreprise ! On remarquera au passage que les deux corapporteurs étaient absents lors de l'audition des trois
entrepreneurs dirigeant des entreprises de taille petite ou moyenne. Est-ce un hasard ?
Au lieu de s'attacher à prendre en considération les réalités concrètes mises en avant par ces entrepreneurs, nos députés
ont dû se perdre dans les méandres de leurs préconceptions partisanes.
Qu'ont déclaré ces entrepreneurs qui peut paraître essentiel ?
Selon Jean-Pierre Clamadieu, PDG de Rhodia, un opérateur industriel coûte 20% plus cher qu'en Allemagne et travaille 7%
de moins ; le code du travail interdit de mettre en place des postes de 12 heures par jour, alors que nous pouvons le faire dans presque tous les pays au monde – les salariés et les partenaires
sociaux le souhaiteraient pourtant car cela réduirait le nombre de jours de travail dans l'année –, nous en retirerions un avantage compétitif grâce à une capacité plus grande de simplifier notre
organisation.
Patrick Pelata, Directeur Général Délégué de Renault, indique que « le principal point faible de l'industrie
française demeure le poids des charges sociales, parmi les plus élevées du monde ». A partir des données de l'INSEE, le poids des charges sociales au sein des secteurs industriels exposés à
la concurrence internationale – industrie chimique, métallurgie, mécanique, électricité, électronique et automobile – varie en France entre 35 % et 43 % du salaire brut. Dans les secteurs abrités – construction, commerce, hôtellerie et restauration –, les taux sont compris entre 22
% et 28 %. Les produits importés ne subissant pas ces charges, les taux élevés « fonctionnent comme des taux de douane dissimulés ».
P. Pelata note que les difficultés en matière de flexibilité du travail concernent non seulement le travail en usine mais
aussi en ingénierie et en développement de produit. Alors que l'ingénierie de Nissan peut travailler sans difficulté en cas de besoin 24 heures sur 24, celle de Renault au Technocentre peut
difficilement fonctionner à 50%, 14 heures par jour, 5 jours par semaine. Il en résulte des délais de développement plus long en France, donc une réactivité moindre face au marché et à la
concurrence, et une plus faible compétitivité.
Jean-Cyril Spinetta, Président d'Air France – KLM, fait d'abord remarquer que la perte de compétitivité de la France se
constate surtout au sein de la zone Euro, de 1999 à 2010, la part des exportations de la France passant de 16,3 % à 13,1% quand les Pays-Bas eux sont passés de 10,9 % à 12,4 %, dans l'ensemble
des 16 pays de la zone Euro. JC Spinetta introduit la notion très intéressante de métiers mondiaux et métiers régionaux. Un nombre limité de métiers industriels sont régionaux : la production de
ciment, de verre ou de plâtre (les métiers de Saint Gobain), la production de gaz industriels (Air liquide), la production de boissons comme les jus de fruit, les eaux minérales ; la logique de
ces métiers impose la fabrication près des clients, essentiellement à cause des coûts de transport. Les services sont pour la plupart des métiers régionaux. Dans les métiers mondiaux, il est
possible de fabriquer ailleurs que dans les pays clients.
En 1995, 2000 et 2003, des mesures ont été prises par 3 gouvernements pour réduire les cotisations sociales sur les bas
salaires. Selon un rapport de la Cour des comptes en 2008, « le taux apparent d’exonération, c’est-à-dire le montant des exonérations rapporté à la
masse salariale, était de 2 % dans le secteur de l’automobile, de 2,8 % dans celui des équipements électriques,
électroniques et informatiques, qui sont des métiers mondiaux, et de 9,8 % dans le secteur de la
construction, de 7,8 % dans le commerce, de 13,6 % dans celui des cafés et hôtels-restaurants, tous
des métiers régionaux. »
Ces chiffres sont à rapprocher à ceux cités par P. Pelata : depuis 15 ans, par le biais d'exonérations de charges, les
métiers régionaux qui ne sont pas confrontés à la concurrence mondiale, sont favorisés et les métiers mondiaux continuent de supporter à peu près les mêmes charges.
Mes lecteurs pourront remarquer que la même politique s'applique du côté de la TVA avec la mise à 5,5% des restaurants –
un métier régional par excellence, alors que l'industrie supporte toujours 19,6% !
Tout en prétendant favoriser l'emploi en exonérant les bas salaires, les politiques tuent à petit feu l'industrie et
contribuent à fermer les usines.
JC Spinetta poursuit en indiquant qu'une compagnie aérienne comme Air France – KLM, est dans une métier de service
mondial, confronté comme l'industrie à la concurrence internationale. Pour un salaire brut de 100, Air France paie ses salariés charges sociales comprises : 146 en France, 119 aux Pays-Bas, 129
en Allemagne et en Italie. Il recommande de remplacer les exonérations sur les bas salaires par une baisse uniforme des cotisations sur la famille ou la maladie et la création d'une TVA
sociale.
Vincent Delozière, directeur général de Refresco France, filiale d'un groupe de 3000 employés, qui fabrique des jus de
fruits et des boissons sans alcool pour des grands distributeurs comme U, Leclerc ou Carrefour et de grandes marques comme Coca-Cola ou Orangina-Schweppes, avec 500 salariés sur trois sites de
production, évoque les difficultés administratives de mise en place d'une ligne de production (plus de 16 mois), le traitement discriminatoire en matière d'aides publiques (aucune aide par
rapport à des concurrents français qui eux reçoivent jusqu'à 25% de leur investiessment) et les mauvaises relations avec la grande distribution.
Edmond Kassapian, PDG de Geneviève Lethu, une marque spécialisée dans l'art de la table, déclare que, depuis 2003, il
s'efforce de relocaliser en France et abandonne les approvisionnements en Chine. Cette démarche est issue de difficultés de travailler en Chine et correspond à un nouveau positionnement : d'une
part « l’augmentation de la contrefaçon, des coûts en Chine, du prix du pétrole et des importations » et d'autre part « la nécessité, pour développer notre concept d’art de vivre à
la française qui plaît tant à l’étranger, de produire en France.» Dans ses relations avec les fournisseurs
français avec qui il cherche à nouer des partenariats, E. Kassapian mentionne la faible capacité d'investissement des PME (manque de fonds propres, endettement), le manque de formation des chefs
d'entreprise (notamment en marketing et en finance) et la complexité du code du travail.
Pierre Gattaz, président de Radiall, du Groupe de fédérations industrielles et de la FIEEC, observe d'abord que sur 30
connecticiens existant en France il y a vingt ans, il n'en reste que 4 dont Radiall. En Allemagne, il y avait 50 entreprises familiales de connectique il y a 20 ans et il en reste toujours
autant. Selon P. Gattaz, à côté de la problématique des charges et de la compétitivité, « il faut des commandes. » Ainsi en 2001, la filière télécommunications a quasiment disparu, les
clients sont partis en Chine. Il faut un écosystème local en France et en Europe, sur lequel s'appuyer pour se développer à l'international. « Si nous avons pu conquérir le marché de Boeing
depuis dix ans, c’est parce
qu’en France, l’écosystème Airbus-Safran-Thales nous avait permis de créer de nouvelles technologies et de
nous développer. »
P. Gattaz évoque ensuite la Conférence nationale de l’industrie qui essaye de mettre en place onze filières stratégiques.
Il ne s'agit pas de revenir à l'époque des plans où des hauts fonctionnaires imposaient des choix industriels ; il s'agit plutôt comme le MITI japonais, que l'Etat favorise ces réflexions et que
les industriels, les chercheurs et les enseignants se mettent d'accord pour les développer. P. Gattaz rappelle que l'industrie représente 85% de l'innovation, 80% du commerce extérieur, 15% du
PIB mais 30 à 35% avec les services associés ou induits (un emploi industriel crée deux emplois de service). « Si l’industrie va mal, toutes les activités qui
lui sont liées iront mal aussi. »
P .Gattaz insiste sur la réduction du coût du travail, la première mesure à prendre selon lui, « serait de
transformer les 33 milliards d’euros de charges qui sont liés à la politique familiale en points de taxe sur la valeur ajoutée ou de contribution sociale généralisée. Une telle mesure aurait pour
effet de renchérir les importations de Chine ou d’Inde, qui rencontrent fort peu de barrières en Europe – alors qu’à l’inverse, pour exporter dans ces pays, nous sommes confrontés à de multiples
contraintes : c’est tout le problème de la réciprocité dans les échanges, qu’il conviendrait également de régler. »
Le crédit impôt-recherche
La plupart des intervenants – JP Clamadieu, P. Pelata, Bruno Cercley de Rossignol, P. Gattaz, se berce de louanges sur le
crédit impôt-recherche (CIR), indiquant qu'il permet de renforcer la compétitivité. Par exemple, grâce à lui, selon P. Pelata, le coût annuel d'un ingénieur passe chez Renault de
79 000 € à 68 000 €, mais il est tout de même noté qu'un ingénieur coréen ou brésilien coûte annuellement 38 000 € et un indien 27 000 €.
Cette comparaison fait sourire : est-ce vraiment grâce au CIR, que Renault fait son ingénierie en France ?
Je me permettrai ici d'être même iconoclaste : la suppression du CIR améliorerait la compétitivité de notre pays. En
effet, le CIR demande que chaque entreprise ait toute une organisation pour rassembler les justificatifs et effectuer les déclarations afin d'être certain de ne pas se voir infliger un
redressement fiscal – il y a de nombreux cabinets de conseil qui vivent très bien en aidant les entreprises dans le maquis fiscal organisé par l'administration et en prélevant une part du crédit
versé aux entreprises ; et bien sûr, une partie de l'administration fiscale consacre tout son temps à cette merveilleuse machine que, parait-il, le monde entier nous envie – mais se garde bien de
copier. C'est ainsi qu'environ 4 milliards € sont versés aux entreprises chaque année au titre du CIR, duquel il faudra bien retirer 10% soit 400 millions € pour frais de dossier (j'espère que P.
Pelata y a pensé quand il a fait son calcul) et ajouter peut-être 50 millions € pour les frais de l'administration fiscale. Ne serait-il pas plus simple de réduire les charges sociales sur les
personnels employés en R&D, d'un seul coup, on supprimerait 450 millions € de frais qui eux, n'apportent rien en termes de compétitivité ? Ne voyons nous pas que, d'une certaine manière, nos
impôts reversés aux entreprises sous la forme du CIR, par un cheminement un peu compliqué, servent à financer la sécurité sociale ?
Simplifier et stabiliser la réglementation française – fiscale, sociale et environnementale
On l'a vu plus haut : la complexité et la rigidité du code du travail est un frein pour la compétitivité de notre
industrie. Il en résulte qu'au lieu de protéger l'emploi, il le détruit. De même, lorsque les règles fiscales changent chaque année comme pour le crédit impôt-recherche, le statut de jeune
entreprise innovante ou le pacte Dutreil, cela fige les décisions des entrepreneurs, les conduit à des attitudes d'attente peu compatibles avec l'évolution rapide des marchés et des
opportunités.
Et lorsque de nouvelles règles sortent, l'administration les rend si complexes à mettre en oeuvre par l'édition de notes
fleuve que beaucoup surtout parmi les dirigeants de PME, se refusent à prendre ce risque. P. Gattaz note ainsi que « Il y a trois ans, au sujet des heures supplémentaires, il nous a fallu
lire et comprendre une note de Bercy de 80 pages… Les chefs d’entreprise ont besoin d’un environnement stable – il ne faut pas changer la loi sans cesse – et simplifié. »