Il y a quelques mois, les Écoles des Mines ont jeté un froid dans le monde français de l'enseignement supérieur en annonçant que les frais de scolarité pour les étudiants français et de l'Union Européenne allaient être multipliés par 2,2 et par 4,5 pour les étrangers à l'Europe, soit respectivement une hausse de 850€ à 1 850 € (1 000 €) et à 3 850 € (3 000 €). Cette hausse devait s'appliquer dès la rentrée 2014. Selon le directeur général de l'Institut Mines Télécom, cette hausse a été rendue nécessaire par la baisse de 20% des crédits de fonctionnement des Écoles. J'observe que le compte n'y est pas car un élève ingénieur coute typiquement 13k€ par an à son École en France : c'est donc une perte de ressources de 2 600 € par élève ingénieur à laquelle les Écoles doivent faire face.
Naturellement, certains se sont insurgés contre la "discrimination" entre étrangers et européens. Mais chacun méditera sur les impôts que les résidents français et européens (via le budget européen commun) payent chaque année pour financer un enseignement supérieur jusqu'à présent quasi gratuit alors qu'ailleurs, notamment outre Atlantique, les frais de scolarité sont bien plus élevés, dépassant largement les 20 000 € par an ; les universités d'État aux Etats-Unis font bénéficier leurs résidents de tarifs très inférieurs, autour de 5 000 €, avec certainement le même principe en tête : l'état qui finance la différence, redistribue aux étudiants résidents une partie de l'impôt qu'ils (ou que leurs parents) ont payé.
Avec cette évolution, les Écoles des Mines se rapprochent en fait des standards internationaux.
Je suis prêt à parier que cela n'empêchera pas les meilleurs étudiants étrangers de candidater pour intégrer ces Écoles. En effet, la quasi gratuité des études faisaient surement douter plus d'un candidat sur leur qualité.
Le financement des « business schools »
Les écoles de commerce et de management que nous appellerons « business schools », font face à une situation similaire, à ceci près que leurs frais de scolarité sont déjà autour de 10 - 12 000 € par an. Depuis 20 ans, les frais ont été multipliés par 2,5. Les CCI qui ont longtemps investi dans ces écoles, se réorganisent et voient leurs moyens financiers baisser. Déjà de nombreuses écoles se sont regroupées pour développer des pôles de recherche significatifs et remonter dans les classements. Depuis des années, elles se sont ouvertes à l'international via des échanges d'étudiants et de professeurs, la création de campus dans des pays émergents. Elles ont su se positionner dans les classements.
Deux d'entre elles, INSEAD et HEC, sous l'impulsion de leurs diplômés, se sont très tôt souciées d'autres sources de financement que les frais de scolarité et les aides publiques. L’Association des diplômés HEC a ainsi créé la fondation HEC dès 1972, la fondation des INSEAD Alumni a elle été lancée en 1976. L'INSEAD a ainsi constitué un fond de dotation de plus de 160 millions € dont les revenus financent les projets de l'école. Les autres business schools n'ont agi que très récemment ; par exemple, l'EDHEC en 2001, l'ESCP Europe en 2005 et l'ESSEC en 2011 ! Il semble bien que l'avance prise par HEC et INSEAD sera difficiles à rattraper et que leur position en pointe à l'international, largement en tête des autres business schools françaises, est bien solide. INSEAD pointe ainsi au 49ème rang du classement de Shanghaï en économie/business et HEC dans les 150 premières. On peut penser que c'est en grande partie grâce à la dynamique des fondations créées il y a 40 ans ! Il n'est pas non plus anodin de constater que HEC s'est associée à l'IDEX (devenue ComUE) de Paris Saclay tandis que l'INSEAD est liée à Sorbonne Universités. Leur emboitant le pas, l'EM Strasbourg s'est intégrée à l'université, et l'ESCPEurope fait partie de la ComUE HeSam.
Par contre, sauf erreur, les autres business schools restent éloignées des regroupements universitaires en cours. En particulier, l'EMLyon reste pour l'instant hors de la ComUE de Lyon-St Etienne. Les écoles associées à des ComUE pourront notamment bénéficier d'un classement de Shanghaï en progression que beaucoup appellent de leurs vœux. Ces rapprochements entre écoles et universités permettent de compléter la palette des disciplines proposées et les rendent plus comparables aux universités du reste du monde. A l'évidence, des synergies vont se développer. Les universités pourront bénéficier des relations établies par les business schools avec les entreprises et leurs diplômés et de leur expérience du développement de ces relations.
La concurrence internationale se fait de plus en plus pressante. Une étude récente de l'Institut Montaigne s'est penchée sur cette question. Elle se réjouit du dynamisme des business schools et de l'avance qu'elles ont su prendre mais s'inquiète de leur manque de ressources pour se maintenir, face au développement rapide de l'enseignement supérieur en Chine, en Inde et autres pays émergents.
L'enseignement supérieur sous pression
En fait, c'est tout l'enseignement supérieur français qui se retrouve sous pression : les moyens financiers traditionnels — l'Etat, les CCI, deviennent plus rares et s'avèrent insuffisants pour répondre à la concurrence internationale, à une ouverture toujours plus grande du marché et une évolution rapide des techniques d'enseignement notamment numériques.
La mise en concurrence vient notamment des grandes entreprises qui recrutent des diplômés de l'enseignement supérieur dans un plus grand nombre de pays. L'expatriation par une entreprise devient exceptionnelle et on fait plus confiance aux managers et ingénieurs formés dans les pays où l'entreprise opère. La qualité des formations est mise en comparaison et des classements émergent, prenant de l'importance, comme le classement de l'université Jiao Tong de Shanghaï ou le Times World University Ranking.
Ces classements ne sont pas actuellement, il faut bien l'avouer, favorables à l'enseignement supérieur français. On ne peut guère prétendre que leurs méthodes soient conçus à l'avantage des anglo saxons : les Pays-Bas et la Suisse qui ne sont pas anglophones, obtiennent des résultats équivalents à la France avec des moyens bien inférieurs, comme le montre le tableau ci-dessous.
-
No d'universités et d'établissements dans les 200 premiers
Class. Shanghaï
Class. Times
Etats-Unis
Grande-Bretagne
Allemagne
Pays-Bas
Australie
Canada
France
Suisse
77
20
13
7
7
6
8
7
74
29
12
11
8
8
7
7
Les relations avec les entreprises et les diplômés
Il apparaît bien que deux facteurs fondamentaux sont à l'origine de l'avance prise par de nombreuses universités et écoles notamment aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne : les relations qu'elles ont su maintenir et développer avec leurs diplômés et leurs relations avec les entreprises, qui elles-mêmes viennent souvent par le canal des diplômés. Les entreprises sont une mine essentielle pour l'enseignement supérieur : une source d'évolution, de nouveaux enseignements, d'échanges (stages, projets, praticiens enseignants, chaires, ….) et de plus en plus une source de financement.
La proximité des diplômés avec la gouvernance de leur université ou école est un élément important. Le tableau ci-dessous montre que, pour les universités au sommet du classement de Shanghaï, les conseils d'administration sont composés avec une écrasante majorité de leurs diplômés. Et de plus, ces membres ont versé des sommes importantes pour en faire partie (plusieurs dizaines de milliers de dollars).
Comme cela s'est produit pour HEC et l'INSEAD, il semble bien que c'est l'engagement des diplômés depuis de longues années, qui fait le succès et la richesse de ces universités.
-
Rang Shanghai
Université
Nombre
d’Administrateurs
Diplômés
au CA
%
1
2
3
4
5
Harvard
Princeton
Yale
Columbia
Pennsylvanie
30
43
17
23
31
30
38
17
23
28
100%
90%
100%
100%
90%
Extrait de l'étude de l'Institut Montaigne
Un autre tableau instructif indique l'origine des financements en France et aux Etats-Unis :
-
Mode de financement / dons
États-Unis
France
Fondations
Diplômés / anciens élèves
Particuliers non diplômés
Entreprises
Autres (salariés des instituts, etc.)
29%
27%
19%
16%
9%
5%
25%
5%
60%
5%
Extrait de N. Levallois-Midière, M.S. Maradeix, Fundraising : Stratégies pour la recherche et l’enseignement supérieur dans le secteur public et privé, Eyrolles, Editions d’organisation,
En fait ce tableau est totalement biaisé par la différence d'ordre de grandeur entre les montants en jeu. Par exemple, l'Ecole Polytechnique a réussi de 2009 à 2012 à rassembler 35 millions € de dons et de promesse de dons, alors que Stanford et Harvard ont toutes deux levé près de 600 millions de $ sur la seule année 2010 ! Elles ne sont pas les seules : les 10 premières universités américaines ont levé en moyenne 400 millions de $ dans la même année, en progression moyenne de 25% depuis 2005 (selon une étude de Bearing Point).
On voit que les entreprises contribuent déjà largement en France au financement et que si l'on s'en tient à l'expérience américaine, une grande partie du potentiel se situe auprès des diplômés.